3 heures
Cette nuit, vers trois heures, tandis qu’un train descendait, c’est arrivé.
Je dis qu’il descendait parce que c’est un pays de vallées ici et que l’express avait l’air de fuir. Quelqu’un a gueulé et, effectivement, j’ai eu le temps de voir la boule grossir dans l’axe du train, un peu comme si le soleil rouge des Japonais s’était mis à enfler à la vitesse d’un salopard. J’étais dans un bois, à priori je n’avais pas une chance, mais j’ai gueulé à quelqu’un derrière moi de s’accrocher et j’ai ceinturé un tronc, face à l’enflure et j’ai inspiré à fond. Plus tard on a su qu’elle venait de Strasbourg, c’est dire qu’elle n’a pas traîné. Et puis, ça a été sur nous.
Bizarrement, c’était comme d’être dans l’eau. J’avais juste conscience de respirer bien à fond et que je m’étonnais de pouvoir respirer là-dedans. Trois ou quatre fois.
Le train était arrêté. Un type couché sur le dos dans la caillasse semblait seul attester du passage. Au village, je ne dis pas que tout était normal, ça avait l’air d’être une heure de sieste, les gens ne savaient pas trop quoi faire de leurs bras. Parler n’avait pas l’air de pouvoir rendre service. Et puis un type à béret a dit : « J’ai l’intention de constituer une bande ; on ne tuera pas pour prendre, du moins tant que ce ne sera pas nécessaire. Ceux qui veulent peuvent rester. Je demande aux autres de partir ». Ça devait être un bistrot. Il a ajouté que si quelqu’un avait un compteur, il l’échangerait contre n’importe quoi. Je me suis rendu compte que ça ne faisait pas lourd maintenant qu’il faudrait porter soi-même les choses. J’avais le mien, le petit boitier jaune. Je n’avais pas eu l’idée de regarder les chiffres. J’ai pensé qu’il faudrait couper l’alarme. Je me suis vu lui donner. Il a commandé à un gamin d’aller chercher une poignée de piles au tabac. J’ai pensé qu’il faudrait de l’eau de citerne pour se doucher tout de suite et trouver des vêtements d’une armoire. Personne n’avait l’air de se rendre vraiment compte. Il me semblait que je pourrais encore compter sur l’amabilité de quelqu’un, d’une petite vieille restée au frais, quelque chose comme ça. Et trouver une citerne.
Dans la ruelle, un couple de randonneurs lorgnait des mangues. Il en restait dans une cagette. Quelqu’un les a laissé prendre. Ils les ont mordu et j’avais le goût dans la bouche de ce sucre. Je ne savais pas trop quoi faire pour la suite. La bande ne me disait trop rien. Le gars avait l’air correct, mais il m’aurait demandé ce que je savais faire et j’aurais dit : « écrire ». Une jeune femme me regardait et insistait. Je lui ai demandé si elle avait déjà eu des enfants. Elle a dit oui, deux. « Ne mens pas, il ne faut plus mentir » lui ai-je dit. « Ils sont avec leur père, dans une ville du sud ». Elle n’avait pas l’air d’en souffrir. Je ne l’ai pas cru, je ne sais pas pourquoi. Elle était peut-être juste en avance sur ses sentiments.
C’était encore un rêve, nous étions sous le choc. Ça ressemblait à ce que j’avais pu lire, Malville et autres, mais c’était une autre histoire de le vivre. C’était encore comme un rêve, mais bientôt ça ne serait pas drôle.